L’abbaye et les croisades

Les couvents de femmes ne vivaient pas si isolés qu’on l’imagine. Ils recevaient un soutien économique et spirituel prodigué par leur abbaye-mère. Askeby était ainsi visité par l’abbé d’Alvastra. Mais, à Askeby en tout cas, la protection des seigneurs locaux séculiers et de l’évêque de Linköping était d’une plus grande importance. Voici un exemple significatif qui montre comment l’abbaye d’Askeby pouvait s’engager dans des questions de politique internationale.

Pour diverses raisons, ce sont les croisades en Terre sainte des XIIe et XIIIe s. qui ont fait couler le plus d’encre. Pourtant au cours du XIVe s., elles allaient devenir une partie de la vie politique en Europe puisque diverses mesures furent prises pour propager la doctrine catholique et romaine dans toutes les régions du continent, tout en contrant l’expansion de l’Empire ottoman en Espagne, en Prusse, dans les pays baltes et en Russie. Ainsi par exemple le roi suédois Magnus VII Eriksson donna-t-il en 1346 son aval à la lutte contre « les ennemis de Dieu, Turcs ou Russes ». Il chercha à obtenir une bulle papale en faveur d’une croisade en envoyant à Rome l’évêque d’Åbo (Finlande) et l’abbé d’Alvastra (Suède).

Sceau du légat du pape Marinus de Fregeno, en mission en Suède entre 1460 et 1464.


L’importance des pays nordiques s’accrut donc de manière significative dans l’action missionnaire en Europe du Nord. Une Scandinavie unifiée était un partenaire important, c’est pourquoi le pape chercha à intervenir dans les conflits de l’Union de Kalmar entre Danois, Suédois et Norvégiens au XVe s. L’expansion turque sur le pourtour méditerranéen conduisit à l’un des plus grands chocs de civilisation dans l’histoire européenne lors de la chute de Constantinople en 1453. Les choses devenaient sérieuses. Le légat du pape remarqua notamment, lors d’une réunion convoquée en urgence à Ratisbonne en 1454 en Bavière, que les Danois, les Suédois et les Norvégiens vivaient au bout du monde et n’avaient « d’intérêt que pour eux-mêmes ». Il fallait en finir avec cette attitude.
Parallèlement aux négociations politiques, de grandes collectes furent instaurées dans les années 1450 dans les pays nordiques. Marinus de Fregeno, légat du pape et instigateur des contacts avec les pays scandinaves, fut identifié grâce au fait qu’il laissa, ou peut-être oublia, son sceau dans l’abbaye Notre-Dame de Roma, sur l’île de Gotland. Il entreprit pendant plusieurs années de vastes collectes publiques, souvent avec l’aide des monastères. Le 29 mai 1462, il adressa une lettre d’indulgences à l’abbesse d’Askeby, Anna Jacobi, en la remerciant pour son soutien à la lutte contre les Turcs. Un mois plus tard, il réitéra ses remerciements, cette fois-ci non plus seulement à la mère-abbesse mais aussi aux 19 sœurs pour leur contribution à la défense de la foi catholique. Dans sa thèse Denmark and the Crusades. 1400-1650, l’historien danois Janus Møller Jensen considère ces lettres comme l’une des nombreuses preuves que non seulement les monastères n’étaient ni isolés ni éloignés des grandes questions de société, mais bien qu’ils y étaient engagés.